15 Sep Allemagne : la vraie différence nord-sud
Le nord, le sud. Vous ne lisez pas un énième roman sur la guerre de Sécession chez nos voisins outre-Atlantique mais dans un article sur la situation de notre voisin outre-Rhin. Car tous les indicateurs le prouvent : le sud de l’Allemagne s’en sort mieux que le nord, et voici pourquoi.
Rappel et contexte historique
Notre voisin allemand a achevé son unification au XIXe siècle après de violents combats entre la Prusse et la Bavière, plus tard que ses voisins européens (Angleterre ou France). Le sud faisait partie de l’Empire Romain, pas le nord ; certains mots courants ont une prononciation différente selon le dialecte (“je” se prononce soit ik, soit isch) ; le nord est plus protestant et le sud plus catholique ; enfin la révolution industrielle fut plus rapide dans le nord, qui fut deux siècles durant plus riche que le sud. Si les clivages entre le nord et le sud du pays sont anciens, aujourd’hui leurs conséquences sur les mentalités et le paysage économique sont de plus en plus visibles.
Les états du sud sont sortis de la Seconde Guerre Mondiale plus pauvres que le reste du pays. Trente ans plus tard, ils ont rattrapé leur retard : en 1991, le PIB/hab de la Bavière était de 22 606 €, soit un peu plus que celui de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie (RNW – 21 680 €), vieille région industrielle. Le clivage n’était plus nord-sud mais est-ouest, avec un PIB/hab dans l’ancienne RDA de 9 759 € en 1991.
Aujourd’hui, presque 30 ans après la chute du Mur, la différence est-ouest est toujours palpable malgré des investissements conséquents de l’ouest vers l’est, à hauteur de 2 000 Mds €, et un rapprochement des niveaux de vie. Cette fois, le sud tire mieux son épingle du jeu.
Un nouveau découpage
Le PIB de la région RNW était de 37 070 € en 2015, contre 44 566 € pour la Bavière – soit 20% de différence. On retrouve cet écart dans l’évolution démographique : + 174 000 pour la RNW, + 1,2 Mio pour la Bavière. L’économie de la RNW diminué d’un tiers depuis 1991 ; à cette vitesse elle se fera doubler par l’économie bavaroise d’ici 10 ans.
Quand on parle d’Allemagne du sud, on se réfère souvent uniquement aux états de Bavière et de Bade-Wurtemberg. Dans cet article, le sud englobe en plus les états suivants (d’ouest en est – cf. carte) : Sarre, Rhénanie-Palatinat, Hesse, Thuringe et Saxe – soit 50,06% de la population et une ligne de démarcation presque identique à celle l’Empire Romain.
Au sud se concentrent 5 des 10 plus grandes conurbations allemandes : Leipzig, Francfort, Munich, Nuremberg, Rhin-Neckar (cluster hi-tech de la région Mannheim-Heidelberg). Le sud rassemble aussi 45% de la population pauvre de l’ex-RDA, mais les 55% du nord englobent aussi la partie dynamique de Berlin – aboutissant à deux blocs similaires.
Des indicateurs au beau fixe
Sur les 16 états fédéraux allemands, les 7 sudistes s’en tirent mieux à bien des niveaux. On y retrouve notamment :
- les 5 meilleurs systèmes éducatifs (selon l’INSM http://www.insm.de/insm.html) ;
- les 5 états où les femmes vivent le plus longtemps ;
- 4 des 5 états où les hommes vivent le plus longtemps ;
- les 5 états avec le plus gros excédent économique ;
- les 4 états avec une dette par habitant la plus faible ;
- 4 des 5 états avec le taux d’insolvabilité les plus faibles ;
- les 4 états avec le taux de chômage le plus bas ;
- les 3 seuls états qui contribuent plus au budget fédéral qu’ils n’en retirent de subsides (Bavière, Baden-Wurtemberg et Hesse) ;
- un taux de criminalité plus faible qu’au nord ;
- un PIB/hab moyen de 39 481€ contre 34 967€ pour le nord ;
- 18 des 30 entreprises allemandes cotées au DAX Index ;
- en 2016, 34 782 brevets déposés au sud contre 13 692 au nord ;
- une dette cumulée de 170 Mds contre 371 Mds pour le nord.
- des exports annuels cumulés de 559 Mds contre 391 Mds pour le nord.
Plus parlant encore : sur certains indicateurs, la différence nord-sud est plus grande que l’ancienne différence est-ouest. Par exemple, le chômage est plus bas en Thuringe ou en Saxe (2 anciens états communistes) qu’en RNW – voire qu’à Hambourg ! Une situation impensable à la chute du Mur, où un taux de 20% de chômeurs chez les anciens états communistes n’était pas rare.
Certes, les investissements venus de l’ouest (financés en partie par l’impôt-solidarité, Solidaritätszuschlag plus communément appelé Soli-steuer, en partie aussi par des aides européennes) ont permis de rebâtir des villes délabrées telle qu’Erfurt ou Dresde, mais là n’est pas la seule explication. Cela n’explique pas qu’Erfurt soit plus riche que Dortmund ou même que Rostock : les raisons sont diverses et variées.
Les facteurs du renouveau
Un facteur est l’histoire du pays : la Bavière et le Baden-Würtemberg n’avaient quasiment pas de charbon, d’acier ni de chantiers navals. Ainsi, tandis que le nord s’agrippait sans relâche à son industrie vieillissante, le sud se projetait déjà dans un âge post-industriel. Munich est aujourd’hui si productive et innovante que le Handelsblatt (quotidien économique de référence allemand) l’a placée loin devant les autres centres urbains outre-Rhin, avec une criminalité moitié moindre qu’à Berlin et une aire urbaine qui recense la moitié des 10 zones les plus riches du pays.
Certains évoquent des facteurs plus profonds qui impliquent les coutumes et le relief : un fermier du sud (au relief vallonné sinon montagneux) partage sa terre entre ses fils, alors qu’un fermier du nord (au relief plus plat) a tendance à appliquer le droit d’aînesse en léguant sa terre au premier-né – le relief quasi-inexistant aidant à la croissance des exploitations. Une mentalité d’entrepreneur dans le sud contre une mentalité de caste dans le nord – vaste polémique.
Un coup d’œil sur le paysage politique actuel donne des éléments de réponse : l’union chrétienne-sociale (CSU, allié de la CDU), qui règne sans partage sur la Bavière depuis 1957, est connue pour être pragmatique sur les thèmes économiques, moins sur le social. Certes irrité par l’afflux de migrants décidé de façon unilatérale par Angela Merkel, le parlement de Bavière (CSU) a tout de même intégré rapidement les migrants qui lui sont échus. Toutes les coalitions des états du sud tendent vers une stabilité politique qui constituerait un “centre” élargi, très pragmatiques dès qu’il s’agit de l’économie – ce quelle que soit la couleur de la coalition au pouvoir.
Aussi, les choix passés de l’Allemagne en matière sectorielle – notamment la spécialisation dans le secteur automobile – y sont pour quelque chose dans le développement du Baden-Wurtemberg, de la Bavière et de la Saxe, berceaux de Daimler-Benz, Porsche, BMW et Audi. La globalisation de la finance a mis Francfort au-devant des places monétaires mondiales, ses multiples gratte-ciels en témoignent aujourd’hui.
L’essor du fret maritime par container a profité à Rotterdam, premier port de Mer du Nord avant ceux du nord de l’Allemagne sur la route des cargos – au détriment de Hambourg, vieille ville Hanséatique, et des ports navigables situés le long du Rhin. Avec leur savoir-faire d’avant-guerre en aéronautique, optique et organisation de salons professionnels, Thuringe et Saxe s’en sortent mieux que leurs voisins du nord de l’ex-RDA. Les migrants d’Europe de l’Est et du Sud ont bénéficié en premier lieu aux états du sud.
Quelle évolution ?
On le voit, l’écart se creuse en Allemagne entre le nord et le sud : l’état fédéral doit-il essayer de juguler le mouvement ou, au contraire, l’accepter avec toutes ses disparités – comme les USA font le grand écart entre Californie et Michigan ? Quelle responsabilité pour l’état fédéral face aux régions pauvres du nord de l’Allemagne (Cuxhaven, Brême ou encore le Mecklembourg–Poméranie-Occidentale) ? Doit-il intervenir dans leurs systèmes éducatifs, compétence exclusive des états ?
Les dernières décennies ont été celles du clivage est-ouest en matière d’économie et de mode de pensée. Dans un pays qui subira une grande pression en matière de compétitivité, de démographie et de prospérité générale dans les années à venir, comment peut-on faire injecter au nord une dose de sud ? Une réponse à cette question serait la réponse à de nombreux casse-têtes qui persistent encore au pays de Goethe.
Traduit et adapté par Stereotexte.
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Source : https://www.economist.com/blogs/kaffeeklatsch/2017/08/explaining-munich-miracle